Retour au pays natal inspiré de qui tout le monde sait (5)

Publié le par SLAM POESIE DE FAUSTINE

J’aime beaucoup être avec Paulo, il me fait penser à mon propre frère ; capacité, talents, dons, intelligence ; tout cela gâché. Extrême sensibilité, une grande générosité, un grand cœur, mais trop influençable. Trop fragile, trop démuni face à la dureté de ce monde. Paolo a perdu ses parents, il a vu sa mère s’enfoncer dans le chagrin et n’en plus revenir ; elle a perdu 3 fils, 3 beaux et forts jeunes hommes dans la force de l’âge, avec un avenir prometteur. Il y a là largement de quoi sombrer.

Au retour, nous sommes passés devant le cinéma Eden Parc, où nous avions vu un film il y a de cela près de 20 ans, cinéma qui se trouve désormais à l’abandon, qui est là à pourrir sur pied. C’est un crève cœur.

Qu’est-il arrivé à cette île ? Je me souviens de rues si propres, que l’on aurait juré que la population se donnait le mot pour ramasser le moindre petit bout de papier que l’on aurait jeté par terre, aujourd’hui la saleté règne partout. La ville est dédiée, toute tournée vers le tourisme de masse, pourtant la plupart ne profite guère de cette manne, ceux qui travaillent dur ramassent les miettes, s’appauvrissant davantage. Tout leur est pris. Tout leur est refusé. A Morada, dans la journée, on voit les stigmates de toute cette misère, dans la périphérie, c’est pire, on a mal devant autant de misère humaine. C’est pour cela que je n’ai pas envie de sortie le soir, ni de jouer les touristes en prenant le taxi pour parcourir 500 m.

Grâce à la présence de Paulo, j’ai passé des heures malgré tout agréables, mais cette journée était triste à mourir. Ca me démoralise de voir mon île dans cet état de perdition. J’ai connu un bout de terre calcinée, pauvre, mais ce que je vois aujourd’hui me semble à peine croyable. C’est d’une violence inouïe, insoutenable.

Je suis venue ici remplir une mission, qui me semble désormais dérisoire, au regard de la réalité de tio Dédé et de sa famille, de Paulo et de tous les autres aperçus, croisés, rencontrés. Je ne sais où ils vont chercher la force de continuer à sourire, à être gentils, à préserver leur générosité, leur bon cœur. Ils ont été bercés de morabeza, là réside peut-être le secret.

Je me suis bercée d’illusion, je me fais honte, je n’ai ni leur force, ni leur courage ni leur grandeur d’âme. Je me demandais pourquoi cette inquiétude au fond de moi, tapie dans l’ombre. Je constate maintenant que je pressentais tout cela, je me refusais à le croire mais je le pressentais.

La mission que je croyais être venue remplir, ne revêt plus du tout d’importance comparée à la réalité de ce pays qui m’a rattrapée de façon si violente et crue. Sachant que mon propre cousin n’a même pas un matelas pour reposer son pauvre corps, comment pourrais-je envisager de dépenser des sommes folles en frais d’avocats, pour une histoire dont l’issue est quasiment certaine ? Ne vaut-il pas mieux investir dans un matelas, un lit, une table, des chaises, un réchaud à gaz, un réfrigérateur, l’aider à nettoyer la maison de ses parents, afin qu’il vive ne serait-ce qu’avec le minimum vital ?

J’aime la maison jaune, je suis passée devant en autocar aujourd’hui, je l’ai montrée à Paulo. Je ne m’en remettrais sans doute jamais de la perdre, mais je ne pourrais plus me regarder dans une glace, j’aurais trop honte de moi, si je donne de l’argent à des avocats inutilement, au lieu d’aider ma famille qui elle est réellement dans le besoin. Si Lilicha et son mari ont envie de vendre la maison de Sotero, de spéculer dessus et la faire démolir, qu’ils le fassent. Ils ne l’emporteront pas au Paradis. Sotero et Felisbela ne le leur permettront pas. Cette monstruosité les poursuivra, elle sera un fardeau dont ils ne pourront pas se défaire. Pour ma part, je considère que tio Dédé c’est mes racines, Paulo c’est mes racines et la maison de tia Tanha aussi. Même si elle est située à Cruz qui est un quartier méprisé par les gens de Morada.

Je sais que si je propose de l’aide à Paulo, il ne l’acceptera pas. Paulo considère qu’il est de sa responsabilité de remettre la maison de ses parents en état, seul et sans l’aide de quiconque. Dormir dans cette maison sans même un matelas pour reposer son pauvre corps est sa pénitence pour ses erreurs passées. Quand ça devient trop, quand ça bouillonne à le rendre fou, il quitte à pied la ville, marche, marche sur des kilomètres pour atteindre le bord de mer éloigné du centre ville, isolé, se pose sur une plage et regarde l’océan pendant des heures, nage pendant des heures, puis Paulo reprend sa marche inlassablement, longe le bord de mer, il va ainsi d’une plage à une autre, plages distantes les unes des autres de dizaines de kilomètres de sable fin. Ca le nettoie momentanément.

Paulo se juge sévèrement, il ne s’apitoie pas sur son sort. Il sait ses responsabilités dans tout ce gâchis. C’est bien de pouvoir parler avec Paulo. Je me sens bien en sa compagnie. J’aimerais tant que tous les deux nous fassions un grand ménage à Cruz, dans sa maison. Je voudrais le faire aussi pour tia Tanha, qui de toute la journée, allait d’un point à un autre de sa maison, nettoyait sans cesse afin qu’elle soit toujours bien tenue. J’en ai parlé à Paulo, j’ai tenté de ne pas lui mettre la pression, je ne souhaite pas qu’il s’y sente obligé pour me faire plaisir. Je souhaiterais que le jour où il se sentira prêt, il me dise : c’est aujourd’hui. Il sait quand je devrai regagner la France. Je souhaiterais que cela lui fasse du bien de voir la maison propre. J’aimerais tant pouvoir faire plus pour lui, qu’il puisse avoir de quoi au moins préparer son café du matin, du pain, du savon et de l’eau. Il faut qu’il cesse totalement de boire. Nous avons prévu d’aller à Praia Grande demain matin. Après cela, je n’aurai plus d’argent avant un bon moment. C’est cruel la morabeza des fois…

Ce qui est choquant c’est le contraste entre l’extrême dénuement de la plupart et les signes extérieurs de richesse d’une poignée de personnes, qui dirigent tout, prennent tout, profitent de tout, piétinent tout, méprisent ouvertement l’autre parce qu’il ne possède pas un 4x4, une grosse moto, le dernier mobile à la mode. Ce n’est pas la pauvreté qui me fait mal, c’est le contraste entre ces deux mondes qui s’entrechoquent en permanence, c’est tout petit ici, donc forcément les pauvres et les riches sont accolés. Les riches ont beau faire, les pauvres sont là, bien visibles. Il y a près de 20 ans, quand je suis venue pour la première fois ici, la pauvreté existait bien évidemment, il me semble, mais peut-être que je me trompe, que la mixité sociale tenait une place plus importante. Le riche était celui qui vivait à l’étranger 11 mois durant puis revenait au pays, se mêlait à sa famille, à ceux qui n’avaient pas eu la chance de partir et partageait. Aujourd’hui, le riche frime, en met plein la vue à ceux qui n’ont rien, les nargue avec son fric qu’il leur jette à la figure, son 4x4, sa maison luxueuse dans un quartier pour nouveau riche, parle mal à celui qui tend la main. Mais ceux qui sont restés, en sont revenu de tout cela, ils savent que tout cela est de la poudre aux yeux, que l’étranger est un mirage dans lequel on peut se perdre, ils savent qu’à l’étranger la vie est dure aussi, c’est d’ailleurs l’étranger qui a amené la drogue ici, le sida en même temps que les touristes. Aujourd’hui, il n’est plus besoin forcément de partir à l’étranger pour vivre convenablement. Il y a des personnes ici qui sont plus riches que bien des émigrants. Le problème c’est que des barrières ont été établies, on refoule les pauvres le plus loin possible du centre ville, on les traite comme des parias quand ce n’est pas carrément par de l’indifférence. Comme s’ils n’existaient pas. Mais encore une fois, c’est un tout petit endroit Sao Vicente. On a beau refuser, rejeter le pauvre, il est là et s’impose de fait.

La domestique d’un couple que je connais se trouve être la propre sœur de monsieur. Il y a 20 ans en arrière, cela m’avait déjà choqué cet état de fait que j’avais constaté chez l’une de mes tantes. Je pensais naïvement que c’était un cas isolé. Mais je suis certaine aujourd’hui que pour la plupart des personnes ayant les moyens de s’offrir les services d’une domestique, la dite domestique est un membre de la famille, voire carrément une sœur. Ok l’argent de cette façon tourne et reste dans la famille, pourrait-on penser et au moins la sœur en question et ses enfants mangent à leur faim. En est-on certain ? Et puis on pourrait pousser l’absurdité plus loin, pourquoi la domestique ne serait-elle pas votre propre mère, grand-mère, voire votre propre fille ?

Car si on a les moyens de se payer une domestique à plein temps, pourquoi ne peut-on se montrer un peu généreux, délester un peu son porte-monnaie et verser une pension à une sœur infortunée afin qu’elle ne soit pas obligée de laisser ses enfants livrés à eux-mêmes toute la journée. Ils le savent tous que le vrai danger réside là, que ces mômes laissés à l’abandon parce que maman est bien obligée d’aller travailler pour les nourrir, se trouvent à la merci de n’importe quel enfoiré qui va en faire des mules pour transporter de la drogue, les livrer aux appétits d’ogres qui vont les abuser sexuellement, les traumatiser, les battre et en faire des chiens enragés. « Kasubody », ils n’ont que ce mot là à la bouche. Mais qui s’est intéressé à ces jeunes avant qu’ils n’intègrent un gang entraîné par un soi disant ami ? Ils n’ont cessé de me dire, les uns et les autres, « ne sors pas seule à la nuit tombée, il y a les kasubody qui vont te faire du mal ». J’ai croisé des kasubody, ils ne m’ont rien fait de mal, bien sûr c’était la journée, mais il me faut aussi ajouter que je ne déambule pas par les rues attifée comme si j’étais Paris Hilton. Je suis discrète, je ne suis pas venue ici faire de la provocation, ni mépriser les gens sous le fallacieux prétexte que je vis dans un pays riche, à l’étranger.

En ce moment c’est la période des élections présidentielles, la plupart s’en foutent comme de l’an 40. Et comment leur en vouloir ? Les politiques ne s’intéressent à eux qu’en période pré-électorale, leur offrant concerts gratuits sur concerts gratuits, après leurs foutus discours d’hypocrites. Mais en dehors de ces périodes-là, ils ne voient personne de cette clique venir dans les rues des quartiers populaires leur apporter de l’aide ou au moins s’inquiéter, s’informer de quoi ils auraient besoin afin que leur vie de tous les jours ne soit pas un enfer de misère. Les rares personnes qui s’intéressent à tous ces enfants livrés à eux-mêmes et tentent d’agir en lieu et place de bla bla, c’est le citoyen lambda, qui n’est pas fortuné, qui se débat seul contre l’administration afin que les enfants dont la mère a un travail mais pas les moyens de s’offrir les services d’une nounou, ou qui n’a pas accès à la crèche, puissent être reçus dans des lieux de loisirs, gratuits, où ils se démènent pour leur proposer des activités culturelles, sportives, des sorties, des rencontres avec autre chose que la drogue, l’alcool, la prostitution, les gangs. Et comment sont-ils remerciés de tout le mal qu’ils se donnent ? Par le mépris. Non mais c’est vrai quoi après tout qu’ont-ils à perdre leur temps et gaspiller leur énergie avec de la graine de voyou ?! A vot’bon cœur m’sieur dame… Non, vraiment, elle fait mal la morabeza des fois !

Et quand en effet ils deviennent des voyous, membre de gangs, les filles comme les garçons, on aura tout lieu de se plaindre, et surtout d’insinuer que c’est de la faute de la famille démissionnaire (entendez la mère, car ici, les pères sont quasi inexistants, personne ne sait où ces pauvres mâles ont disparus). Et encore une fois, qu’a-t-elle à aller faire la domestique chez son propre frère en étant payé avec un lance pierre, dans l’espoir qu’elle pourra nourrir ses enfants et les envoyer à l’école ?! Non, vraiment ces femmes n’ont pas inventées le fil à couper le beurre ! Au secours ai-je envie de hurler. Cessez de juger et de condamner ces femmes qui élèvent seules leurs enfants !

Et puis ça permet de mettre en place un système policier d’une rare violence (ben oui, il faut bien protéger les touristes, seulement les touristes), qui bastonne à tour de bras le moindre quidam lavant les vitres des voitures de touristes justement, pour gagner 20 esc. (20 cents), qui bastonne les rares personnes osant critiquer (oh crime de lèse-majesté), les politiques, qui bastonne y compris de grands artistes oui, oui um malcriado est un malcriado, artiste ou pas, cela justifiera le déploiement de ninjas encagoulés, armés comme pour faire la guerre, leur mise de forces spéciales d’intervention contre le grand banditisme, leur seule vue, suffit à faire trembler tout un chacun de peur. Au secours. Mis à part cela, le Cap Vert ne fait plus partie des pays les plus pauvres de la planète, ils sont sortis de cette liste noire ou rouge, allez savoir, par la volonté de… je ne sais plus, l’ONU ou le FMI ? Merci beaucoup je suis sûre que cela fait le plus grand bien à la population demeurant dans les quartiers les plus pauvres de l’île de détenir cette information capitale.

D’aucun me dirait « mais ferme ta gueule, ce n’est pas comme ça que tu vas obtenir la nationalité capverdienne »… Je m’en fous !


Faustine

 

 

 

Publié dans TEXTES

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